Nous mettons nos archives à disposition mais la mise en page n’est pas encore corrigée

Tests : NESGBSNESN64GBANGCDSWii3DSWii U

L’article du traître : Shadow Complex

Le

par

Pardonnez-moi, très cher père de la terreur et grand dictateur, car j’ai péché. J’ai péché car j’ai mis la main sur un jeu non-Nintendo et j’y ai pris du plaisir. Mais mettez-vous à ma place, aussi ! Je suis fan de Metroid depuis des années, et je ronge mon frein en attendant désespérément de nouveaux épisodes de qualité. Metroid : Other M ? Oui mais non, ce n’était pas exactement ce que j’attendais… Et voilà qu’on me sert sur un plateau un jeu qui, plus qu’un hommage, est presque une relecture du genre. Vous auriez fait quoi à ma place ? Soyons honnête ! Difficile de résister !

Uncharted contre les anarcho-communistes

C’est en 2009 que la première version du jeu voit le jour sur le Xbox Live Arcade, en exclusivité sur la console de Microsoft. Les petits loustics de Epic Games, créateurs de séries bourrines comme Unreal Tournament et Gears of War, trompent leur monde en proposant ce qui pourrait apparaître de prime abord comme un « petit jeu téléchargeable », confié au studio fraîchement racheté Chair Entertainement. Plutôt habitués aux gros bras et aux effusions de sang et de plasma, les développeurs insufflent alors dans le jeu une atmosphère légèrement différente, empruntant davantage au thriller technologique et à l’espionnage qu’à la baston violente à coups de tronçonneuse. Aidés de Peter David, célèbre auteur de comic book américain (que je ne connaissais pas, soyons honnêtes), Chair Entertainement et Epic Games échafaudent alors un scénario mettant en scène un gars lambda aux prises malgré lui avec une organisation terroriste secrète qui menace, comble de l’originalité, de prendre le pouvoir. Heureusement que tous les méchants de fiction échouent, sinon on changerait de gouvernance plus vite que ne varient les prix à la pompe.

Après une scène d’introduction jouable un peu brouillonne dont on ne comprendra les enjeux que bien plus tard, nous voilà donc aux commandes de Jason Fleming, nonchalant baroudeur tirant fortement vers le Nathan Drake de Uncharted, tant par son flegme que par ses capacités physiques hors-normes. En balade dans les montagnes de l’état de Washington avec son amie Claire, il découvre malgré lui une grotte au milieu des sapins. Claire, fougueuse comme un renard, part explorer la grotte en bermuda et sans casque, au mépris des règles élémentaires de spéléologie. Vous n’allez pas y couper : vu qu’elle ne répond pas à vos appels au bout de 4 secondes, il va falloir vous y coller. Jason s’aventure alors lui aussi dans la grotte, pour découvrir que Claire a été capturée par de drôles de soldats en combinaison futuriste, et que la grotte cachait en réalité l’entrée d’un complexe militaro-industriel souterrain secret, qui rendrait fou de jalousie n’importe quel architecte travaillant pour la NSA. Et voilà notre malheureux Jason, fils de militaire mais ayant toujours refusé de combattre (le hasard fait bien les choses), obligé de prendre les armes malgré lui pour récupérer sa gazelle et mettre par terre un complot visant à déclencher une guerre civile afin de prendre le pouvoir.

Jason, notre héros (normalement, il a des jambes, pas d’inquiétude).

Si l’histoire est archi-classique et convenue, on sera surpris malgré tout par quelques rebondissements finaux là encore éculés mais qui ont le mérite de ne pas être spécialement attendus. Epic Games a tout de même mis les petits plats dans les grands pour construire cette histoire, puisqu’ils peuvent se targuer d’avoir créer un jeu collant avec l’univers d’un grand auteur de science-fiction, Orson Scott Card (que je ne connaissais pas non plus, soyons francs). En effet, Shadow Complex prend place dans le même univers que Empire, roman de l’auteur sus-nommé.

Mais entre nous, on s’en fiche un peu.

La machine à glaçon est visiblement détraquée.

Metroid sous stéroïdes

Car ce qui fait l’originalité du titre et qui lui a valu des critiques dithyrambiques, ce n’est certainement pas son scénario de téléfilm M6, mais bien l’ambition affichée par les développeurs : créer un jeu en forme d’énorme hommage à la saga Metroid. Gens de bons goûts, les développeurs de Epic et Chair comptent parmi leurs rangs quelques aficionados non dissimulés de la saga de Nintendo, notamment David Mustard, directeur créatif du jeu. Considérant à raison Super Metroid comme un pinacle du jeu d’action / plate-forme / exploration, M. Mustard (que j’appellerai affectueusement M. Moutarde) s’est donc mis en tête de créer un titre tirant presque toute sa substantifique moelle du jeu de 1994, où Samus revenait sur Zebes pour mettre une raclée aux Pirates de l’Espace ayant volé la dernière larve Métroïde.

Exit donc le FPS de Unreal Tournament ou le TPS de Gears of War. Cette fois, le jeu sera un pur jeu d’action et de plate-forme, faisant la part belle à l’exploration et au retour sur ses pas. M. Moutarde a commencé son travail en réalisant sur papier une carte complète du complexe souterrain, avec ses nombreuses zones interconnectées et ses passages secrets. Une méthode qui a fait ses preuves, puisque l’équipe de Yoshio Sakamoto avait procédé de la même façon en 1994 sur Super Metroid. En résulte donc un monde cohérent, d’une grande complexité, avec des passages secrets et des bonus cachés un peu partout. La carte n’est pas de trop pour se repérer dans cet enchevêtrement de couloirs, de salles et de conduits d’aération.


On observe donc un déroulé, une structure et des mécaniques en tous points similaires à ceux des jeux Metroid. Le héros commencera avec sa b*** et son couteau et terminera l’aventure avec un équipement capable de détruire une planète, en glanant au fil du jeu des éléments nouveaux : une montée en puissance classique de la série de Nintendo. Deuxième point essentiel : cet équipement trouvé au fur et à mesure débloque des accès à de nouvelles zones, recelant de nouveaux objets, et ainsi de suite. Voilà bien un autre point crucial de la construction des jeux Metroid, parfois désigné par les vrais qui savent sous l’anglicisme de « backtracking ». C’est en général ce point précis qui ravit les fans de la saga et éloigne les impies de cette merveille de game-design qu’ils ne savent pas apprécier à leur juste valeur (les cons).

Troisième point essentiel, découlant du précédent : un monde labyrinthique, truffé de passages secrets et de bonus cachés. Voilà encore bien une des caractéristiques communes avec les aventures de Samus, puisque de là découle un pourcentage de collecte d’objets, pouvant influencer la fin obtenue par le joueur. De là découle également la possibilité inverse : tenter de finir le jeu avec le moins d’objets possible, quitte à prendre des chemins inhabituels et pas forcément pensés comme tels à la base. Tout ceci, Shadow Complex le permet également.

Plus Métroïdesque que Metroid

Là où Shadow Complex intrigue cependant, c’est dans son respect quasi-religieux de toutes les ficelles de Metroid, quitte à risquer de ne passer que pour une caricature. En effet, malgré le contexte terre-à-terre du scénario, n’impliquant aucun voyage interplanétaire ou espèce extraterrestre, on se retrouve à lutter contre une organisation voulant dominer le monde (comme les Pirates de l’Espace). Jason se met en quête dans le complexe souterrain d’une armure cybernétique futuriste lui permettant de décupler ses aptitudes (comme Samus). Et la progression se fait en récupérant des objets à peine remodelés à partir de leur modèle original : bombes, missiles, tir de glace, double saut, etc. Même l’accélérateur introduit dans Super Metroid est de la partie ! La lampe donnée au début du jeu remplace les rayons X de Super Metroid, mettant en évidence les faiblesses de certains blocs ou portes. Et si le tir principal se base sur des armes à feu classiques, la découverte de fusils de plus en plus puissants n’est pas sans rappeler les différents rayons ramassés par Samus lors de ses aventures.

Quelques variations existent cependant. Ainsi, Jason n’a pas ici besoin de boule morphing pour passer dans les conduits d’aération : il se contentera de ramper. De même, il devra récupérer un tuba perfectionné avant de pouvoir tenir plus de 10 secondes en apnée. On le trouvera également pourvu d’un triple saut vers la fin de l’aventure, ainsi que d’autres petites bricoles anecdotiques comme la possibilité d’éliminer les ennemis au corps-à-corps. Quelques grammes d’originalité au milieu des kilos de repompe parsemant le jeu. Shadow Complex essore les rouages de Metroid jusqu’à la carte du monde, où sont matérialisés les objets à récupérer et les salles de sauvegarde, et propose même un succès nommé « Jason Bailey », directement inspiré du fameux code « Justin Bailey » permettant de jouer Samus en justaucorps sur NES.


Au milieu de tous ces emprunts et hommages, le jeu en vient presque à oublier de créer sa propre identité, ce qui est bien dommage. Les soldats déshumanisés que l’on dézingue par centaines ne représentent pas grand-chose et le scénario n’a rien de suffisamment transcendant pour nous plonger corps et âme dans l’aventure. Reste malgré tout le complexe en lui-même, véritable troisième personnage à part entière (avec Jason et Claire), incarnant un meilleur antagoniste que l’anecdotique général méchant qui veut tout faire péter. Le complexe est donc cohérent de bout en bout et construit de manière admirable. Mais il manque encore un je-ne-sais-quoi, peut-être tout bêtement un nom désignant clairement chaque zone, afin d’individualiser précisément les différentes parties du complexe et de lui insuffler le peu de vie qui lui manque. C’est le revers de la médaille : lorsqu’on s’inspire aussi ouvertement d’une licence, on s’expose inévitablement à une comparaison. En ce sens, Zebes et ses différents environnements regorge bien plus de vie et de personnalité que le complexe souterrain qui était pourtant à deux doigts du sans-faute.

Jason est vénère, sa journée est foutue.

Jason sur tous les plans

Reste que Shadow Complex impressionne par son système de jeu et l’environnement construit : tout le moteur est en 3D mais le personnage ne se déplace qu’en 2D, sans pouvoir se mouvoir dans la profondeur. En revanche, il peut exploiter cette profondeur via ses tirs, et ainsi dégommer des cibles à l’arrière-plan. C’est là l’avancée principale par rapport aux Metroid classiques : le deuxième stick de la manette de Xbox permet de gérer avec précision son angle de tir, et la visée semi-automatique autorise ainsi un tir en profondeur, parfois exploité de manière très originale. Ainsi, on se retrouvera parfois avec des ennemis en face, sur le même plan, mais aussi des ennemis à l’arrière-plan : il faut alors gérer correctement ses couvertures en s’aidant des caisses et autres obstacles dispersés dans le décor afin de ne pas finir les pieds devant. Car il sera difficile d’être couvert correctement avec deux ennemis disposant d’angles de tir différents ! Sur ce point, Shadow Complex fait montre d’originalité et transpose ainsi plus ou moins le système de couverture de Gears of War dans son environnement 2D.

On se retrouve ainsi devant un jeu nerveux, nécessitant d’appréhender le terrain correctement pour ne pas se faire avoir. Malheureusement, il faudra attendre de passer dans les niveaux de difficulté supérieurs pour espérer rencontrer une réelle opposition. Le jeu propose également un léger côté RPG avec une progression de niveau en niveau au fur et à mesure que l’on explore la zone et que l’on occis des méchants. Jason gagnera alors en précision, en vitesse et en déplacement grâce à ces niveaux traversés. Rien de bien transcendant mais on appréciera l’effort de mélange des genres.

Certains environnements, très larges, vous demanderont de revenir pour être explorés ultérieurement avec le bon équipement.

Une voie pour de futurs jeux Metroid ?

Finalement, le jeu se veut être un jeu d’action / exploration en « 2.5D », de l’aveu même de M. Moutarde, c’est-à-dire mélangeant environnement 2D et 3D pour offrir une expérience innovante. Et ce terme de 2.5D est exactement celui prononcé par Yoshio Sakamoto, papa de la saga Metroid, qui cherchait, après la fin de la trilogie Prime créée par Retro Studios, à renouveler l’expérience de la série. Féru d’environnements 2D et désireux d’exploiter enfin de vrais rendus 3D, Sakamoto explorait alors des pistes de développement pour transcender la série et offrir une nouvelle aventure pour Samus.

Mais il accoucha de Metroid : Other M.


Et c’est là que Shadow Complex prend tout son intérêt : à mon sens, Shadow Complex est un meilleur Metroid que Metroid : Other M lui-même. Plus étendu, plus nerveux, plus logique, avec un système de contrôle bien pensé, le jeu offre une zone à explorer réellement ouverte où les chemins sont multiples et où se perdre devient un plaisir. Il a de plus la bonté de nous épargner le drama larmoyant de Other M en distillant de temps à autre des cinématiques de quelques secondes ou bien des réflexions à voix haute de Jason, ne nuisant jamais à la fluidité globale, là où Nintendo et la Team Ninja nous offraient des monologues interminables et à la profondeur d’une rédaction de collège, cassant le rythme déjà en dents de scie à coups de flashbacks en sépia. Shadow Complex va à l’essentiel tandis que Other M tourne autour du pot. Sans conteste, Shadow Complex montre ce qu’aurait dû être un véritable Metroid moderne tirant parti d’un moteur 3D digne de ce nom.

Au-delà du plaisir que procure Shadow Complex au fan de Metroid frustré par l’écueil Other M, le jeu de Epic Games constitue un espoir : si Nintendo s’empare à bras le corps du problème et s’inspire à son tour des innovations apportées par son disciple, il y a moyen de créer alors un jeu Metroid véritablement moderne, fluide, agréable, transcendant l’esprit de la série. Car la patte Nintendo et la finition de leurs jeux, voilà bien quelque chose avec quoi Shadow Complex ne peut rivaliser : quelques bugs et problèmes de contrôle dans certaines zones nous rappellent à quel point les jeux Nintendo sont toujours méticuleusement paramétrés, testés et fignolés. On se prend alors à rêver d’un véritable Metroid reprenant les innovations de Shadow Complex à son compte… Mais il faudra visiblement se contenter de Metroid Prime : Federation Force en attendant mieux d’ici 20 ans…

Cours, Forrest ! Couuurs !

Alors voilà, ô grand dictateur, pourquoi j’ai joué à ce jeu. Mais comprends-moi : on trouve ici tout ce qu’il manque aux jeux Metroid depuis maintenant 5 ans ! Shadow Complex, c’est une relecture moderne du genre, une aventure non dénuée de défauts mais dont l’esprit général est tellement proche de cette série que j’aime, que je n’ai pas pu m’empêcher de l’apprécier ! Et Epic Games vient justement de ressortir le jeu, en cette fin d’année 2015, dans une version remasterisée et GRATUITE ! Alors je ne peux qu’inciter les fans de Metroid à faire comme moi : transgresser l’ordre établi et faire faux-bond à Nintendo juste une fois pour découvrir un jeu qui le mérite amplement !

Voir aussi :

,