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Tests : NESGBSNESN64GBANGCDSWii3DSWii U

Nano Assault EX

Le

par

Avant d’être un jeu, Nano Assault EX raconte l’histoire d’un homme. C’est un récit humain qui crie le désespoir d’un peuple, et cette histoire qui n’est accessible qu’à ceux qui sauront lire entre les lignes mérite d’être racontée en de plus amples détails, et de passer à la postérité comme le témoignage qu’elle représente. Mesdames et messieurs, ce soir, je vous offre plus qu’une histoire : je vous offre une vie.

En se réveillant un matin après des rêves agités, Karl se retrouva dans son lit, comme à l’accoutumée. Seul dans le lit à deux places qu’il partageait occasionnellement avec sa femme, il se redressa animé d’une ardeur rare. L’inhabituelle activité mentale qui avait animé sa nuit le laissait songeur. Pour une fois, il se résolut à se lever avant que le réveil-matin ne sonnât une deuxième fois. Pour tout dire, Karl était si captivé par sa rêverie qu’il ne remarqua guère le post-it d’excuse sur la table, alors qu’il grignotait une tartine à peine chaude et distraitement beurrée. Après avoir mis l’assiette qu’il n’avait pas utilisé à la machine à laver, Karl finit de se préparer et sortit de chez lui pour prendre le métro munichois qui l’attendait chaque matin. L’attendait, en effet, car Karl n’était jamais en retard, et arrivait toujours à l’heure même où la rame se présentait à sa station. Cette précision dans le timing était quelque chose qu’il avait acquis au fil des années, et faisait son peu de fierté.

Mais aujourd’hui, Karl arriva une minute avant le métro. Cette minute qu’il avait volé à son lit ne le fit toutefois pas réagir plus que les rêves qu’il avait partagé avec le lit sus-cité. Il y pensait encore quand il monta dans la rame et y pensait encore quand il en sortit. La tempête qui agitait l’arbre de sa personne entre ses deux nids de cérumen emportait quelques feuilles. Peu habitué au phénomène présent qui lui occupait l’espace cérébral, Karl céda à la tentation qu’il offrait : il allait en parler avec son chef.


Karl travaillait chez une société qui produit notamment des logiciels de type middleware, axés sur le son. En gros, c’était un programmeur, ou plutôt un « code monkey », sauf que ce singe-là ne pouvait pas taper sur son clavier au hasard, et que ça faisait longtemps que les vieilles blagues ne le faisaient plus rire. En entrant dans les locaux ce jour-là, les yeux de Karl se portèrent sur le groupe de cubicles parmi lequel se trouvait celui dans lequel il passait le meilleur de ses jours. En regardant bien, il pouvait tracer des yeux une série de lignes au sol retraçant ses déplacements quotidiens. De la box à l’imprimante, puis retour à la box… de la box à la cafetière et retour à la box… de la box aux toilettes qui ne prenaient pas la peine d’être genrées, et retour… et enfin le chemin entre la box et l’entrée dans laquelle il se trouvait présentement. Il commença à suivre cette ligne imaginaire, puis s’arrêta à mi-chemin. Il était un couloir par lequel sa ligne imaginaire n’avait jamais esquissé un passage. Il se tourna et pénétra ce couloir.


Les parois des cubicles de la section middleware où Karl travaillait étaient toutes vierges. Dans l’autre section de l’entreprise vers laquelle il se dirigeait en ce moment, il vit les mêmes cubicles que dans sa section, mais ceux-ci étaient ornés ça et là de quelques dessins. Des esquisses d’un personnage avec un étrange sac à dos, des symboles d’aspect asiatique, des tracés de pistes de mini-golf, un peu de tout et n’importe quoi. Parmi ces dessins, il distingua des illustrations colorées représentant des vaisseaux futuristes, quelques brouillons d’aliens, et il pensa plus fort encore. Il fallait qu’il parle à son chef. Coup de chance peut-être, ledit chef était derrière lui et l’observait, ostensiblement interloqué. Pourquoi Karl n’était-il pas sur sa ligne invisible habituelle ? Ils parlèrent.

En fin d’après-midi, il rentra à l’heure habituelle. Sa femme l’accueillit en le regardant à peine. Quand elle lui jeta un coup d’œil rapide alors que celui-ci était en train de s’installer dans le fauteuil du salon, elle écarquilla les yeux. Avait-elle mal vu ? C’est au moment du repas qu’elle confirma ses soupçons : il s’était passé quelque chose. Probablement ne s’en rendait-il pas compte, mais, dans la grisaille générale qui formait son être, un sourire, si fin soit-il, était aussi discret qu’une paire de phares antibrouillard. Sur son visage qui habituellement criait au conseil conjugal, cet homme laissait transparaître une inquiétante satisfaction. Que se passait-il ? Le sourire lui disait que son mari l’en informerai bien assez tôt, et ce fut le cas.


Quand elle s’installa dans sa partie du lit conjugal fragilisé par le temps, à côté de son mari assoupi, elle y repensa. Lui ? Diriger un projet ? Impossible, un engrenage de la machine ne pouvait jamais devenir un circuit électronique. Cette lubie lui passera bientôt. Et en plus… Un projet de jeu vidéo ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Elle savait que l’entreprise de Karl produisait des jeux parmi ses logiciels, mais ça ne correspondait pas à Karl. Karl était un homme éminemment triste. Quand le rock était à la porte, il éteignait les lumières et faisait silence. Quand le hip-hop était dans les rues, il fermait les volets. Quand le disco est mort, il n’est pas venu à l’enterrement. Dans les clips vidéo et les publicités où l’on voit un homme épanoui marcher à contre-courant d’une marrée d’hommes tous identiques en noir et blanc, il aurait été hors-cadre. Son nom était l’antonyme de l’amusement. Ça ne marcherait pas. Cela dit… Elle était un peu heureuse de voir qu’il voulait tenter de changer. Elle s’endormit enfin avec un fin sourire aux lèvres.


Le lendemain, Karl arriva en avance au bureau. Il entra, et suivit au sol la trace la plus fraîche : la ligne transparente qui le menait vers les cubicles avec les dessins. Quand il en fut assez proche, il put voir que le directeur avait raison : les signatures et les copyrights incrustés dans un coin de chaque dessin ne portaient ni le nom de l’entreprise ni le nom d’aucun de ses artistes. C’étaient toutes des illustrations prises sur le net et imprimées pour référence. Il s’éloigna des cubicles sans vie et se dirigea vers la salle de réunion où s’étaient réfugiés les quelques employés déjà arrivés. Il put alors juger sur pièces, les développeurs de jeux ne semblaient effectivement pas plus joyeux que les développeurs de middleware. L’un d’entre eux toussait par ailleurs fortement. Quand l’heure vint, le chef lança la réunion, sur le même thème que la discussion du jour passé. Il y a pénurie d’idées, et il y a pénurie de motivation. Ce qu’il fallait à la section jeux de l’entreprise, c’était une force qui, selon les dires du chef, « saurait pousser au cul ». Karl avait rapidement exposé une idée au chef hier, et c’était tout ce dont il avait besoin, une idée. Ainsi, Karl était supposé prendre le rôle de game designer sur le prochain projet de l’entreprise. La décision fut accueillie par le silence habituel de l’entreprise, interrompu par les cliquetis de touches de clavier au loin et une forte toux. Karl interpréta cette non-réponse comme un « pourquoi pas ».


La réunion terminée, Karl fut dirigé vers un cubicle dépourvu de tout signe de vie intelligente présente ou passée. Le cubicle à-côté du sien appartenait à l’homme qui toussait. On l’informa que c’était le précédent game designer, et que celui-ci l’assisterait (peut-être) en tant que senior game designer, si il daignait ouvrir la bouche pour offrir au monde autre chose que des germes. L’homme, un mouchoir devant la bouche, le regarda dans les yeux au moment où Karl s’assit, et Karl réfléchit un peu plus. Le directeur prit congé des deux hommes. Il était temps de travailler sur un jeu. Hier, après la discussion avec le chef, Karl s’était vu offrir un guide « Le game design pour les nuls », et avait pu commencer à le feuilleter. On y disait que le travail du game designer reposait avant tout dans la création d’un document qui énoncerait notamment les mécanismes du jeu. Il récupéra le bouquin dans sa sacoche, l’ouvrit précautionneusement à la page désirée et le posa de façon à ce qu’il ne se ferme pas. Il ouvrit une fenêtre de traitement de texte, et commença à taper en recopiant le modèle proposé par le livre, imposant au reste des cubicles silencieux le bruit de ses touches de clavier. Le silence était tel qu’il aurait fallu qu’il sorte de son cubicle pour vérifier si les autres étaient toujours là, mais il n’en fit rien. Cliquetis, toux, cliquetis, toux, cliquetis, cliquetis, cliquetis. Le senior game designer était parti depuis un quart d’heure, et le silence aurait été oppressant s’il n’y était pas habitué. Il regarda son écran, qui n’avait rien affiché de nouveau depuis dix minutes. Il n’avançait plus. Il décida de faire le tour des cubicles. Tous vides. La journée était finie. Karl suivit la ligne invisible à destination de la sortie, le livre à la main.


Ce soir, elle remarqua qu’il lisait attentivement un livre qui ne ressemblait pas au programme télé. La télé était même éteinte.
« Qu’est-ce que tu lis ?
– Un manuel. Pour le projet.
– C’est bien ?
– Je sais pas vraiment. Je pense.
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– Je crois que j’ai plus de responsabilités qu’avant.
– Oh. »
Il avait toujours ses phares antibrouillard allumés. Quoique, il semblait légèrement moins excité que hier. Peut-être n’étaient-ce plus que des feux de route ? Dans tous les cas, il lui semblait diligent et appliqué dans la lecture de son manuel. Toutefois, la situation la rendait un peu inconfortable. N’importe qui était capable de lire un manuel et de suivre des instructions, se disait-elle, alors quel intérêt y avait-il à faire venir un employé nouveau à la fonction si c’est pour quelque chose d’aussi basique ? Karl ne devrait-il pas se détacher un peu de son livre et réfléchir par lui-même, travailler par lui-même ? Toutefois, elle ne souhaitait pas mettre à mal la toute nouvelle confiance de son époux.


Le développement se poursuivit, les jours se transformant en mois jusqu’à ce que le jeu devienne gold. La ligne invisible de Karl était toujours présente dans le bureau, elle avait juste changé légèrement de circuit. Pendant des jours, il continua à remplir son document texte, mettant les bons champs aux bons endroits, faisant tout proprement. Les artistes se mirent à gribouiller et à pianoter, les programmeurs à programmer mollement. Tout se mit à prendre forme en l’espace de quelques mois. Avant qu’il n’aie eu le temps de le réaliser, le projet de Karl était devenu un jeu, et son idée avait été placée dans un squelette d’os en plâtre, parmi des organes en papier mâché, et dans ce projet d’arts plastiques qui avait échappé à son contrôle conscient, son idée avait fondu. Peut-être avait-elle été incluse, peut-être pas, et lui-même ne saurait pas le dire. Parmi les organes de papier mâché, c’était un appendice. Il avait bénéficié de l’assistance de ses collègues qui, sans avoir l’air d’y toucher, ajoutaient leurs petites touches de peinture à la structure, et des conseils du chef qui avait aidé à raboter ce qui dépassait du squelette et en remplacer certains organes. Après des mois, arrivés à la fin du projet, personne n’avait la moindre idée de quel genre d’animal était ce qu’ils avaient créé. Un chien ? Un cheval ? Un hamster (un gros hamster, genre mutant) ? Karl songea qu’il aurait préféré un chat. Le directeur semblait plutôt porté sur une vache. Au final, il était plutôt sûr d’avoir créé un mammifère qui tenait sur ses pattes, mais personne n’en avait vraiment envie.
Le jeu terminé semblait solide, bien ficelé, et avait du potentiel. Mais, au sein même de l’équipe, personne n’avait envie de jouer avec plus de quelques minutes. Il leur faudrait l’avis d’autrui pour savoir exactement ce qu’ils avaient enfanté. Mais Karl n’était pas sûr que ça l’intéressait. Il regarda rapidement la ligne invisible au sol, et constata avec un soupir la ligne désormais presque effacée qui menait à son ancien cubicle.

Une fois rentré, il annonça à sa femme que son projet était fini et qu’il venait d’être publié.
« Tu m’avais dit que c’était quoi, le nom ?
– Nano Assault EX. »


Curieuse, elle alla vérifier sur Internet si elle pouvait trouver des informations là-dessus. Le site Metacritic, rassemblant plusieurs notes pillées à travers le net, lui affichait un 74 sur fond jaune. 74 semblait être une bonne note, mais le fond jaune semblait lui suggérer que ce n’était pas tellement le cas. Elle chercha plus de détails et les trouva sur un petit site consacré à Nintendo, disponible dans sa langue, nommé NintendoMensch. Le site était dirigé par un allemand de souche, un certain sknot, et proposait à sa une le test du jeu, rédigé par un jeune rédacteur nommé Verdammt fliegenden Pferd. Voilà, en somme, ce que disait le test :

Test de Nano Assault EX

Nano Assault EX a tout ce que l’on pourrait attendre d’un jeu complet. En sa qualité de shoot ’em up, il fait tout ce qu’une shoot ’em up devrait faire. Les modes de jeux (Histoire, Arcade, Boss à la chaîne, Survivant) sont comme il faut, les éléments à débloquer (bestiaire, musiques) sont présents, et la possibilité de décrocher des high scores ou même de remplir des missions secondaires pour chaque niveau est présente. Pour aller plus loin, Nano Assault EX a même un peu d’audace, en tentant de proposer une formule de « twin-stick shooter » sur une console qui n’a qu’un stick, en utilisant les boutons de droite comme second stick, et même si ce n’est pas aussi confortable qu’on le souhaiterait, c’est jouable. Le jeu s’offre même le luxe de proposer des armes secondaires et des types de niveaux différents, soient les niveaux où votre vaisseau gravite autour d’une cellule en éliminant tous les ennemis, les niveaux de rail-shooter, et des niveaux de boss. Pour ce qui est de la réalisation, Nano Assault EX est plutôt propre et retranscrit de belle façon, quoique peu inspirée, un environnement micro-bactérien. En ce qui concerne la musique, vous avez le droit à la dose de techno futuriste passe-partout qui s’adapte si bien à ce genre d’environnements.


Seulement voilà, Nano Assault EX a beau avoir été créé dans les règles de l’art, il n’en est pas pour autant un bon jeu. Jouer à un shmup est censé demander une attention continue et une réactivité exemplaire, ce qui n’est pas le cas ici, et développer un jeu est censé demander un grain de folie et de piment, ce qui n’a pas été le cas ici. Disons-le nettement : on s’ennuie dans Nano Assault EX. Et ce n’est pas parce qu’il est long, bien au contraire (comptez deux ou trois heures de jeu), non, c’est quelque chose de bien plus subtil qui est en cause. Le rythme du jeu fait qu’on ne peut jamais vraiment se relâcher mais qu’on n’est jamais vraiment sous pression non plus : le jeu demande de l’endurance plus que de la précision. Or, les questions de rythme de jeu tiennent beaucoup au ressenti du joueur et auraient bien du mal à être définies par des normes objectives lors du développement, c’est pourquoi j’affirme que ce jeu a été développé sans assez d’instinct et de tripes. De toute façon, pour citer un réel défaut, les contrôles du vaisseau sont mous, ce qui n’aide pas à la précision.

En somme, Nano Assault EX n’est pas un mauvais jeu, pas le moins du monde, mais il m’est impossible de le décrire comme un bon jeu, car il n’est pas plus qu’un jeu médiocre. Malheureusement, dans le milieu du jeu vidéo, il ne fait pas bon être médiocre. Les bons jeux ont droit aux éloges de la presse et des joueurs, tandis que les mauvais sont gratifiés de railleries et de plaisanteries. Toute l’attention de la population des joueurs est captivée par les extrêmes du spectre de qualité des jeux, et Nano Assault EX, en plein milieu de celui-ci, est condamné au désintéressement immédiat et général, ce qui est regrettable pour les développeurs studieux de Shin’en. Il leur faudra, pour leur prochain jeu, s’écarter de cette ligne de conduite de développement si ils souhaitent partir vers un des extrêmes du spectre de qualité, pour le meilleur ou pour le pire.

(traduit de l’allemand, du site NintendoMensch, par Verdammt fliegenden Pferd)

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