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Nintendo et la mort

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En cette période de fêtes de fin d’année, quoi de mieux que de se poser des questions un peu morbides ? Moi j’aime, c’est toujours mieux que de filer du fric à Coca-Cola. Aujourd’hui au menu, les morts chez Nintendo. Alors non, on ne parlera pas de Gunpei Yokoi qui s’est fait faucher par une voiture après avoir créé la Game Boy Poket, mais de Mario, Link, Samus mais aussi et surtout de Bowser, Ganon, Ridley et tous ces vilains pas beaux qui ont déjà eu le malheur de croiser votre route.

La mort de votre avatar

Quand vous prenez votre manette en main et que vous lancez votre jeu, vous commencez bien souvent avec des vies. Ces vies sont en fait la transformation des « crédits » initialement utilisés dans les bornes d’arcade : plus de crédit, le jeu est fini. Game Over. Avec les consoles de salon, plus besoin de mettre d’argent dans la machine, mais il faut bien que le jeu s’arrête à un moment, donc on vous attribue des vies et quand vous n’en avez plus, c’est Game Over.

Ce principe n’a été remis en cause que très tardivement dans l’histoire du jeu vidéo, avec l’arrivée des jeux un peu plus matures qui ne se contentaient plus de vous faire recommencer tout le jeu lorsque vous n’aviez plus de vie comme ça a longtemps été le cas. Avec cette nouvelle approche, rendue possible par la sauvegarde, votre personnage mourait vraiment. En témoigne le célèbre écran de Resident Evil : You died. Là, le personnage est vraiment mort. Mais le joueur peut reprendre sa partie à la précédente sauvegarde, ce n’est pas bien grave. Juste un peu frustrant. Mais la frustration fait grandir.

Ça, c’est fait.


Autre cas, un poil plus extrême, dans les jeux de combat. Si les Street Fighter se soldaient par un KO, c’est Mortal Kombat qui a apporté une véritable surenchère de la mort avec ses Fatality, qui consistaient à détruire visuellement le corps de votre adversaire alors mis KO dans un bain de sang des plus spectaculaires. C’est d’ailleurs ce qui rend ces jeux amusants – pour ne pas dire que c’est leur seul intérêt.

Nintendo faisant partie des pionniers de l’industrie, il a longtemps gardé à l’esprit le principe des vies et des continus permettant au joueur de poursuivre son aventure le plus longtemps possible s’il n’était pas trop mauvais. Les réserves de vies et de continus étaient d’ailleurs intelligemment calculées pour faire en sorte qu’un joueur qui ne parvient pas à passer un niveau avec les vies et continus qui lui ont été attribués n’est manifestement pas assez doué pour s’attaquer aux niveaux suivants : il est donc nécessaire de le faire revenir en arrière pour qu’il perfectionne sa maîtrise du jeu.



Ainsi, il est extrêmement rare de voir votre personnage mourir dans un jeu Nintendo. Au mieux, il est éjecté de l’écran, au pire, on le voit s’évanouir. La mort de votre personnage n’est même pas suggérée. Mario et Link ne sont jamais morts sous vos yeux. Pas même Samus qui, au mieux disparaît, au pire se dévoile en maillot de bains (just in bailey) après que sa combinaison ait explosé. Quand on connaît l’univers hostile dans lequel elle évolue, on se doute qu’elle ne pourrait survivre sans son armure, mais on ne la voit ni suffoquer à cause de l’air irrespirable de la planète Zébès, ni se faire déchiqueter par quelque ennemi que ce soit. Quant aux Pokémons, ils finissent généralement KO ou enfermés dans une Pokéball. Même dans Fire Emblem, jeu de guerre, les personnages ne font que disparaître de l’écran et certains continuent d’avoir une place dans l’histoire même après avoir perdu au combat. Très chevaleresque, comme approche. Donkey Kong aussi est mis KO par ses adversaires. Il n’y aurait que les Pikmins que l’on verrait mourir à l’écran, encore que les petites âmes qui s’échappent de leurs dépouilles puissent être interprétées comme la promesse d’une réincarnation future.

Bref, la mort de votre avatar dans un jeu vidéo n’existe pas, elle n’arrive jamais. Vous pouvez l’appeler comme ça si vous le souhaitez, mais ce n’est en tout cas pas ce que Nintendo a choisi de vous montrer, contrairement à Capcom dans ses Resident Evil et tout un tas d’autres développeurs.

Le Game Over est même devenu un running-gag ^^

Et les méchants alors ?

Le prétexte le plus répandu, car c’est celui qui vous met le plus facilement en jeu, c’est de vaincre un adversaire. La mode est aujourd’hui à dézinguer du zombie ou de l’alien, mais Nintendo ne s’est que très peu prêté à ce genre de petit délire. A peine verra-t-on des vaisseaux se crasher dans Star Fox ou de gros robots exploser sans que l’on voie réellement l’ennemi (l’être vivant aux commandes de l’appareil) mourir calciné. Il a très bien pu s’échapper avec son siège éjectable ? Ce n’est pas montré.

Mario écrase les Goombas, c’est un fait avéré. Mais les Koopa Troopas, qui eux ressemblent à des êtres vivants, sont éjectés de l’écran. Et lorsque ce n’est pas possible dans les jeux en 3D, ils se contentent de disparaître comme le font les ninjas, avec un écran de fumée. Bowser tombe dans la lave mais on sait tous que ça ne lui fait pas mal. Ou alors, il disparait dans un tourbillon pour mieux revenir à l’épisode suivant. Dans Donkey Kong, même les plus gros méchants se contentent de finir à terre avec une flopée d’étoiles qui leur tournent autour de la tête. Les autres ennemis, eux, sont là encore éjectés de l’écran.

Bwa ha ha ha, même pas mal !

Là où ça prend d’autres proportions, c’est dans des jeux allant de Pikmin à Metroid. Mais dans ces jeux-là, à part quelques rares personnifications anthropomorphes venues des enfers comme Samus Sombre, les ennemis que vous tuez sont tous soit de gros monstres dégueulasses genre blague de la nature, soit de petits animaux moches et, de toute façon, hostiles que vous vous feriez un plaisir de massacrer si vous en croisiez dans la rue. Et c’est d’ailleurs une caractéristique relativement commune entre les humains : on ne tue pas un chaton parce que c’est mignon, mais une araignée avec autant de pattes velues que d’yeux globuleux, ça, on tue parce que c’est moche. Même l’éternel ennemi de Samus, Ridley, ne meurt pas visuellement. On sait qu’il se fait bien amocher, cybernétiser, cloner, mais on ne le voit pas mourir. Il tombe, il part, il se retrouve enseveli, il est mis à terre avant le démarrage du compte à rebours qui va tout faire péter… Mais il ne meurt pas vraiment.

Même principe dans Zelda : à part quelques horribles bestioles bien souvent créées d’après des peurs universelles (araignées, dragons, méduses géantes, ou gros monstres à la mode de Cthulu) qui se décomposent sous vos yeux, les méchants aux formes humaines ne meurent pas à l’écran. Au mieux, ils disparaissent, au pire, ils sont mis à terre et bannis d’une façon magique au cours d’une cinématique.

Lui, on n’a pas le choix, il est moche, il doit mourir !

A ma connaissance, la seule exception à la règle se trouve être Twilight Princess où, pour la première fois dans un jeu Nintendo, on voit clairement le méchant, de forme humaine (alors qu’il est passé par trois transformations dont une particulièrement monstrueuse), mourir en direct devant nos yeux. Ça m’a d’ailleurs choqué ce jour pluvieux de décembre 2006 où je vis Ganondorf se faire tordre le cou en présence de Link et de Zelda. Les yeux révulsés, l’ennemi juré de mon enfance s’arrêtait de vivre pour la première fois de son histoire. Et pourtant, les occasions de le vaincre n’avaient pas été manquées. Chaque fois, il disparaissait, se faisait enfermer. Au pire se retrouvait-il transformé en statue de pierre et submergé par un océan entier.

Ceci dit, si cette image violente n’a cessé de me hanter pendant des nuits, la chronologie officielle de la légende de Zelda m’a appris qu’il n’était en fait toujours pas mort, cet animal. D’un point de vue scénaristique, ça restera donc une disparition, peut-être une désincarnation ? Mais d’un point de vue visuel, ça restera à jamais la mort la plus violente que j’aie connue dans un jeu Nintendo.

Et pourtant, les occasions de tuer les ennemis ne manquent pas. C’est d’ailleurs le leitmotiv de la plupart de vos personnages dans Fire Emblem. Si dans les épisodes de l’univers de Marth, le méchant est un dragon maléfique, parfois, déguisé en humain, dans les deux autres univers que sont Magvel et Tellius, il y a bien un homme à tuer. Et parfois même plusieurs. Et je revois encore la princesse Elincia dire à Ike que le conflit ne pourra se régler si tel ou tel méchant reste en vie, car même mis KO, même humilié, même placé en prison, il ne cessera de nuire. La mort n’est donc que la seule option. Mais au moment venu, on se retrouve soit avec une bizarrerie scénaristique qui sauve la vie du méchant, soit avec une mise en scène qui occulte totalement la scène de sa mort. Contrairement à Twilight Princess, le propos est là, mais pas le visuel. C’est mine de rien beaucoup moins violent et finalement tellement plus Nintendo.

Yurk…
Bon ceci dit, si Ashnard ne meurt pas,
c’est le scénario qui part en couille…

Et la mort dans tout ça ?

Vous l’aurez compris, un point qui caractérise les jeux de Nintendo, à quelques rares exceptions, c’est cette pudeur face à la question de la mort. Je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle avec les dessins animés de Disney dans lesquels la mort n’est jamais montrée à l’écran. Même dans la planète aux trésors où un personnage meurt dans les bras du héros dès la dixième minute du film, on ne voit que son ombre tomber au sol, on ne voit pas sa dépouille par la suite. Même la mère de Bambi n’est pas montrée morte ou en train de mourir, ce n’est que suggéré. Et à ma connaissance, la mort la plus violente dans un Disney est dans Tarzan, où le méchant se retrouve coincé entre des lianes, se débat férocement en tentant de toutes les couper à l’aide de son couteau alors que Tarzan est en train de tomber. Au plan suivant, on voit Tarzan qui parvient à regagner la terre ferme sans mal, le couteau du méchant tombe et se plante dans le sol. On a compris, mais on n’a rien vu. De toute façon, ça aurait été particulièrement dégueulasse.

Je ne sais pas si c’est une qualité de masquer la mort comme ça. En tout cas, ça offre un sacré avantage : ça fait des dessins animés et des jeux vidéo accessibles à tous. Pas trop violents pour nos enfants, mais pas trop bébés pour les ados et adultes que nous sommes. Et dans l’absolu, ça permet de se démarquer de la surenchère de violence que subit notre société et pour laquelle le cinéma et le jeu vidéo sont souvent cités comme en étant la cause.

Il y a mille et une autres façons de nous arracher quelques larmes des yeux, comme ici le départ du père, dont on connaît déjà les conséquences sur la vie de James Hopkins.

Se priver du thème de la mort, ce serait se priver d’un fondement colossal de possibilités scénaristiques. Et c’est agréable de pouvoir aborder ce thème sans pour autant montrer des images lugubres qui mettent en route votre machine à compatir. Mais se contenter de cacher ces images en évoquant la mort prive malgré tout des scénarios dignes des contes philosophiques ou des récits initiatiques qui sont très intéressants même s’il n’y a pas de morts dedans (hormis dans les mangas Shonens qui sont un peu une offense au genre). Par exemple, ça me plairait bien d’avoir un bon jeu basé sur Le Petit Prince de Saint-Exupéry. Mais à partir de là, on plonge dans un débat que le jeu vidéo se plait à éviter et qui serait de toute façon totalement hors sujet ici : le jeu vidéo peut-il être un vecteur de pensées philosophiques et d’opinions politiques comme le sont la littérature et le cinéma ?

En tout cas, même s’il s’en défend par le biais des interviews de Shigeru Miyamoto, Nintendo a déjà fait un choix (et pas des moindres) quant aux valeurs qu’il véhicule au travers de ses jeux.

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